L’art de la récup’

Publié le 7 mai 2012 par Redshark

En bordure du marché Sandaga de Dakar, après les étals de fruits et légumes, les vêtements et les menuiseries, un petit atelier très discret produit des œuvres d’art tout en recyclant. Ils sont sept à travailler ici, de tous les âges. Leur métier consiste à récupérer les ordures en métal ou en carton et les transformer en objets de la vie quotidienne. C’est ainsi que les capsules deviennent des boites de rangement, que les canettes sont transformées en casquettes, que le gros fil de fer est utilisé pour fabriquer des guitares. Le Poisson Rouge a rencontré Alassane Diop, fondateur du Soweto village. Upcycling

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A l’origine, le marché Sandaga ne s’éloignait pas vraiment du rond-point qui lui a donné son nom. Le développement économique et démographique de Dakar a eu pour conséquence un élargissement progressif du marché. Aujourd’hui il atteint le quartier Niaye Tshioker, au niveau du carrefour entre la rue des Dardanelles et l’avenue Jean Jaurès. Il faut traverser l’intégralité du marché pour trouver Soweto village. En fait, le coin de la récupération fait office de clôture nord du marché. Au-delà des montagnes de fer apparait le rond-point Médina.

L’atelier Soweta village

L’atelier Soweta village existe depuis 25 ans environ. Alassane Diop, grand et fier, a la posture du responsable, il est l’ainé du groupe. « Je suis né ici, dans le quartier. J’ai quitté l’école en CM2. Depuis cet âge je travaille dans la récupération et toujours avec fierté. Au départ, quand j’ai débuté je ne faisais que des tirelires et petit à petit, j’ai appris à faire des plateaux puis des malles et des mallettes ». En grandissant, il a voulu voler de ses propres ailes, et c’est à l’âge de 15-16 ans qu’il prend la décision d’ouvrir son propre atelier de récupération et fonde Soweto village.

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« Mais tu sais, l’utilisation des capsules, je suis le premier à l’avoir fait au Sénégal ». Et c’est tout le génie de cet homme : prendre des objets qui paraissent insignifiant et les assembler pour en faire des ustensiles, des rangements, ou des objets de décoration. Les canettes de soda servent à  faire des casquettes à la mode des rappeurs américains, des cendriers, ou même les bordures de cadres pour photos. La tôle pliée permet de réaliser des arrosoirs, des cages d’oiseaux, des socles pour sapin de noël. Les capsules servent à produire des rideaux, des fauteuils, et des boites. Enfin, des plateaux de cuisine sont confectionnés avec ces mêmes matériaux. Le fil de fer récupéré sert quant à lui à la production d’objet de décors. Le fil est plié et travaillé pour lui donner la forme d’un saxophone ou d’une guitare et cela uniquement pour le plaisir des yeux.

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Fil de fer

Recyclage

Pour être certain de se fournir en matière première, Alassane Diop ne se contente pas de récupérer à même le sol. Le développement de son atelier l’oblige à répondre à des commandes importantes de clients et il ne peut plus se permettre de dépendre uniquement de ce que les bennes à ordures lui ont conservé. En plus des ramasseurs qui viennent lui vendre leurs cadis, Alassane Diop se fournit argent comptant auprès des usines. Pour les capsules des bouteilles par exemple, il se rend directement à l’usine de boissons de Soboa où des caisses entières lui sont vendues. Et lorsque ce circuit est bouché : « pour les grosses commandes, les usines ne suffisent pas, et je vais aux décharges ». Il achète tout ce qu’il transforme, ainsi il fait vivre plus petits que lui tout en délaissant cet aspect ingrat de la récupération.

Son atelier étant reconnu par l’État et étant en possession d’une carte professionnelle, Alassane Diop nous informe qu’ils sont obligés de faire des rappels du vaccin contre le Tétanos tous les 6 mois. Au contact du fer et de la rouille, il est vrai qu’un accident est vite arrivé. Cette disposition, si elle peut avoir l’aire contraignante, est essentielle au bon déroulement des travaux de l’atelier.

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Emploi

« Chaque année pendant les vacances, des parents envoient leurs enfants apprendre le métier. Tous les enfants des récupérations sont passés par là ». Soweto village ne fait pas que recycler. Il forme aussi les plus jeunes en leur transmettant un savoir. Aujourd’hui Alassane a 5 apprentis. Ceux-là restent avec lui et viennent régulièrement à l’atelier. Pour les autres c’est occasionnel, mais dit-il « ça leur permet quand même de se faire une idée sur ce qu’est le métier de la récupération ». Les apprentis ne sont pas salariés mais ils sont nourris au frais de l’atelier et reçoivent des petites sommes pour les fêtes ou les évènements.

Il faut dire que les clients du Soweto village ne se bousculent pas. Ce sont principalement des commerçants, du Sénégal ou même d’Europe qui passent commandes auprès d’Alassane. Il nous révèle d’ailleurs que le village a en moyenne 1 à 2 grosses commandes par an. Une grosse commande, cela signifie entre 2000 et 3000 pièces représentant un montant de 5 à 6 millions de francs CFA (entre 8000 et 10 000 euros). En parallèle, l’atelier reçoit également de plus petites commandes qui lui permettent de fonctionner au quotidien.

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Culture

Comme nous l’avons dit l’atelier de récupération est bien plus qu’un atelier de recyclage, c’est un lieu de production artistique. Bien que les objets fabriqués servent la vie quotidienne, certaines pièces relèvent totalement de l’art contemporain. Preuve en est : trois chaines de télévision sont venues faire des reportages sur Soweto village, la célèbre chaine franco-allemande Arte, la chaine française TV5 Monde et enfin la chaine belge RTB.

Alassane Diop et ses ouvriers ont également été invités à plusieurs reprises en Europe dans l’objectif d’exposer leurs œuvres. La dernière invitation remonte à l’année 2006. Ils avaient été invités à Vernon, une petite ville française où une exposition des productions de Soweto village avait été organisée à la médiathèque municipale. Mais les œuvres de l’atelier voyagent aussi sur le territoire national. Un peu partout au Sénégal, des pièces sont exposées et vendues.

Cependant, Alassane Diop regrette l’attitude du directeur de l’Artisanat. Tout simplement Alassane déclare « On ne le sent pas ». Il n’attend pas grand-chose de cet homme même s’il espère de temps en temps une aide pour faciliter l’obtention d’un visa. « Il y a quelques années on était invité en Belgique pour une exposition. On avait des difficultés pour obtenir les visas nécessaires et le directeur de l’artisanat n’a rien fait pour nous aider. Ils ont donné les visas à des commerçants au lieu de les donner aux ouvriers ». Le fondateur de Soweto village aimerait que l’État sénégalais lui vienne en aide pour développer son activité à l’étranger et pourquoi pas un jour exposer au musée Beaubourg.

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Témoignage